« ru »
« Der Klang der Fremde »

par Kim Thúy, Les éditions Libre Expression, 2009

Ma mère me plaçait souvent dans des situations de honte extrême. Une fois, elle m’a demandé d’aller acheter du sucre à l’épicerie située juste en dessous de notre premier appartement. J’y suis allée sans trouver de sucre. Ma mère m’y a renvoyée et a même verrouillé la porte derrière moi :
« Ne reviens pas sans le sucre ! » Elle avait oublié que j’étais sourde et muette. Je me suis assise sur les marches de l’épicerie jusqu’à la fermeture, jusqu’à ce que l’épicier me prenne par la main et me dirige vers le sac de sucre. Il m’avait comprise, même si mon mot « sucre » était amer.

Pendant longtemps, j’ai cru que ma mère prenait un plaisir fou à me pousser constamment au bord du précipice. Quand j’ai eu mes propres enfants, j’ai finalement compris que j’aurais dû l’avoir vue derrière la porte verrouilée, les yeux collés à l’oeil-de-boeuf ; j’aurais dû l’entendre parler à l’épicier au téléphone, pendant que j’étais assise à pleurer sur les marches. J’ai aussi compris plus tard que ma mère avait certainement des rêves pour moi, mais qu’elle m’a surtout donné des outils pour me permettre de recommencer à m’enraciner, à rêver.

(Kim Thúy, ru, Les éditions Libre Expression, 2009, 145 pages)

Meine Mutter brachte mich oft in äußerst beschämende Situationen. Einmal bat sie mich, in dem Laden direkt unter unserer ersten Wohnung Zucker zu kaufen. Ich ging hinunter, fand aber keinen Zucker. Meine Mutter schickte mich noch einmal los und schloss sogar die Tür hinter mir ab: « Dass du mir nicht ohne Zucker wiederkommst! » Sie hatte vergessen, dass ich taub und stumm war. So saß ich bis zum Ladenschluss auf den Stufen des Geschäfts, bis der Verkäufer mich an die Hand nahm und zum Zuckersack führte. Er hatte mich verstanden, auch wenn mein Wort « Zucker » bitter war.

Lange glaubte ich, dass meine Mutter großen Spaß daran fand, mich ständig an den Rand des Abgrunds zu drängen. Erst als ich selbst Kinder hatte, verstand ich endlich: Ich hätte sie hinter der verschlossenen Tür sehen müssen, das Auge am Spion, ich hätte hören müssen, wie sie mit dem Verkäufer telefonierte, während ich weinend auf den Stufen saß. Ich habe auch erst später verstanden, dass meine Mutter zwar von meiner Zukunft träumte, mir aber vor allem Werkzeuge an die Hand gab, damit ich wieder Wurzeln schlagen und selbst zu träumen beginnen konnte.

(Kim Thúy, Der Klang der Fremde, traduction du français par Andrea Alvermann et Brigitte Große, Verlag Antje Kunstmann, 2010, 159 pages)